Le restaurant sans chronique

Anonim

Cave de Can Roca

Celler de Can Roca : mémoire, paysage, vie, mort, nostalgie... tout, dans l'assiette.

"Seul l'instant est éternel", Raúl Bobet

26 septembre. 2012. J'écris sur Celler de Can Roca , un hôtel à Madrid, un ordinateur, des notes griffonnées sur un vieux Moleskine - aujourd'hui à la retraite. J'ai mangé au Panamericana -où l'on mange plus que bien- et j'ai bu un champagne tout à fait oubliable. On m'a demandé pourquoi j'aime les restaurants. Encore une fois.

12 Juin. 2007. Je connais Quique Dacosta à Dénia , j'essaye La Forêt Animée pour la première fois. Peut-être le premier plat installé dans ma mémoire au-delà du goût, du toucher et de l'arôme. C'était une journée grise, pas de repos des vagues à Las Rotas. Je ne me souviens pas de grand-chose d'autre. Mais oui la truffe d'Alba ou la truffe noire. Herbes, thym et romarin . Humidité. Le voyage de l'assiette à la mémoire, à la mémoire de nombreux après-midi accompagnant mon père et son chien à travers les pins luxuriants d'El Saler. J'étais enfant et je détestais cette forêt. Il est mort des années plus tard, croyant -je suppose- que j'avais oublié ces après-midi inoubliables.

17 décembre. 2011. Gérone. Un groupe d'hommes et de femmes honorables unis par l'amour du vin et de la bonne cuisine se réunissent autour d'une table ronde au Celler de Can Roca. Josep Roca nous souhaite la bienvenue. Pitou. Il est non seulement le meilleur sommelier que je connaisse, mais aussi une personne spéciale -un émetteur- capable de vous conduire à un état émotionnel unique, de parler de la mémoire, du paysage, de la vie, de la mort et de la nostalgie. On parle de nostalgie. Un fado de Silvia Pérez appelé « Lágrima » joue, un fado qui accompagne un Niepoort de 1983. Je griffonne une phrase « Porto ne meurt jamais ».

30 janvier. 2006. Denis Mortet , l'un des vignerons les plus brillants de Bourgogne, se suicide (46 ans) d'un coup de feu dans ses vignes du Clos de Vougeot. Il est tombé en dépression cinq ans plus tôt car il croyait avoir échoué dans le millésime 1999 en interprétant son terroir, son paysage, sa mémoire. Je décide de visiter son vignoble quatre ans plus tard, je le fais parce que sa création - son pinot noir - est l'une des raisons pour lesquelles un jour j'ai décidé consacrer ma vie au vin . Ce fut un voyage inoubliable. Je me souviens de l'histoire de Mortet ce 17 décembre à Can Roca, quelques heures après ce fado, buvant avec un bon ami ce qui était l'un des vins préférés de Mortet, Les Amoureuses de Chambolle Musigny. Ça sent les cerises et la terre humide, les champignons et la forêt. Ça sent comme la nostalgie devrait sentir.

Bourgogne

La Bourgogne ou comment dédier sa vie au vin

5 juillet. 2012. Valence. J'ai lu un article d'un collègue que j'admire, José Carlos Capel. Ça s'appelle "Mémoire et Racines". Je fais un pari avec lui, un pari que je gagne. Cette conversation et votre merveilleux article me rappellent une chose. Je dois écrire sur Can Roca. Mais je ne sais pas quoi écrire . Que dire d'autre de Can Roca ? José Carlos parle de perfection -je suis d'accord-, il parle d'une cuisine de mémoire et de racines. Je ne sais pas si c'est le meilleur restaurant du monde. Et la vérité, je m'en fiche . J'en ai marre des scores, des listes et des récompenses. Du meilleur et du pire. Je ne veux pas écrire cette chronique.

17 décembre. Gérone. Démarrez le menu magistral (le voilà, signé par Pitu) El Celler avec 'eat a world' et 'olives caramélisées' . Un olivier est perché sur la table. Je griffonne le nom du plat et dessine une étoile à côté - je le fais toujours - je le fais parce que je sais que je me souviendrai toujours de ce plat, je me souviendrai toujours de cet aliment. Comme cette journée au Clos de Vougeot, comme la forêt animée, comme le fado qui fait encore mal à la mémoire, comme les après-midi avec mon père.

Aujourd'hui c'est vendredi, j'envoie cet article.

Je me souviens de Can Roca.

Cave de Can Roca

Que peut-on écrire d'autre sur Celler de Can Roca ?

Lire la suite